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resumé
Les géologues et biologistes ont discuté et publié depuis les années 1800 de l’origine des trous tubulaires percés dans les calcaires durs de plusieurs pays d’Europe et d’Afrique du nord, ils désignent principalement l’escargot terrestre Cepæa  nemoralis comme étant le responsable de ces perforations. Ces trous tubulaires remontants sont percés sur les faces verticales ou sub-verticales des lapiés et cela toujours à l’opposé des intempéries dans les conditions du subaérien à une vitesse proche de 1,5 mm pour 10 ans. On les trouve en activité principalement sur les massifs karstiques et leurs environs.
Ils sont un outil utile sur le terrain pour l’interprétation des karsts et de sites archéologiques.

Les loges inactives témoignent de changements ayant pour cause des actions soit naturelles (climatiques, végétales, géologiques) ou artificielles (Routes, barrages, carrières, etc.…)


INTRODUCTION
Ce phénomène est répandu en Europe et en Afrique du Nord (Algérie, Angleterre, Corse, Espagne, France, Irlande, Israël, Sicile, Slovénie). Bien que les espèces, les lieux, les climats et la végétation diffèrent, on retrouve toujours les mêmes perforations creusées dans des conditions très similaires sur les massifs karstiques. L’origine biologique du phénomène étant le besoin en calcium des escargots pour leur croissance et ces perforations ont des caractéristiques très bien établies. Elles ne se trouvent que sur les roches carbonatées dures ayant une masse importante et uniquement sur les surfaces verticales ou sub-verticales à l’opposé des intempéries. Elles partent toujours du bas vers le haut, jamais l’inverse, de ce fait l’eau ne peut envahir leurs galeries.
Le moulage d’un petit groupe de perforations (Fig 1) est bien représentatif de leurs caractéristiques générales.
On peut trouver des galeries qui débouchent sur la partie supérieure des lapiés, mais l’origine de la perforation est toujours sur la partie inférieure. Leurs diamètres varient de 2 à 3 cm et ne présentent pas de rétrécissements à l’intérieur des loges.
 Dimensions du moulage   150 mm x 110 mm x 100 mm                 Fig 1

L’évolution des perforations.
L’évolution des perforations est la suivante, une loge est faite en tube simple, puis une deuxième, etc. leurs profondeurs et leurs branches augmentent puis finissent par se rejoindre, l’épaisseur de la roche diminue entre les différentes branches et finit par former une dentelle qui à son tour disparaît pour ne laisser qu’une niche dont le fond est entièrement perforé (Fig 3
1 / Tubes simples         2 / Les perforations se rejoignent    3 / Formation de la dentelle    4 / Reste une niche vide

Les loges tubulaires sont creusées aux travers des veines de calcite et des fossiles présents dans la roche figure 4 et 5. Des cas de perforations sur des ossements ont été observés en France et en Slovénie, Normalement les os sont en hydroxyapatite, composé de phosphate de calcium. Il n‘est pas certain que la dissolution de la matière osseuse soit aussi facile que celle d'une roche calcaire faite de carbonate de calcium. Il est donc probable que le mucus de l'escargot agisse par l'intermédiaire d'ions H+ qui se combinent à des ions Cl-, formant de l'acide chlorhydrique dans le milieu.
   
Fig 4 et 5

DISCUSSION.
L’espèce d’escargot mise en cause dans les divers articles sur les perforations publiés depuis les années 1800 est principalement Cepaea nemoralis, mais d’autres espèces sont citées :
- Algérie : Helix aspersa.
- Angleterre : Helix aspersa, Helix hortensis, Cepæa nemoralis, Helicigona lapicida
- Corse : Marmorana serpentina
- Espagne : Helix hortensis, Cepæa nemoralis,  Helix aspersa, Cochlostomes. 
- France : Helix aspersa, Helix hortensis, Cepæa nemoralis.
- Israël :  Levantina caesareana.
- Irlande : Pyramidula rupestris, Helix aspersa, Helix eaperata, Pupa moulinsiana.
- Sicile : Helix mazzulli, Murella sicana, Cepæa nemoralis.
- Slovénie : Cepæa nemoralis.
La carte (Fig 6) représente les différents pays où des publications ou observations ont été faites ainsi que les différentes espèces perforantes observées sur le terrain.
Fig 6

Les causes :
Il y a plusieurs raisons qui poussent les escargots à venir perforer les roches calcaires.
Le besoin en calcium : La première est le besoin en calcium pour leur croissance, cela est bien connu des éleveurs qui leur donnent des coquilles d’œufs ou du calcium en poudre dans leurs élevages, l’expérience menée par mes soins en 2002 au laboratoire souterrain du CNRS de Moulis (France - Ariège) a bien mis en évidence que sans le moindre apport de calcium dans un environnement karstique, les escargots ont du mal à parfaire leur coquille qui reste molle.
La température : La raison suivante est liée à la période d’hibernation de l’escargot, qui l'hiver venu, s’enterre d’une vingtaine de centimètres dans les sols de nos campagnes. Sur les massifs karstiques il n’en est pas de même, l’hiver venu c’est dans les loges qu’ils ont perforées que la majorité d’entre eux trouvent refuge, évitant ainsi le sol gelé durant quelques mois.
Les mesures comparatives menées depuis début Septembre 2011 sur les amplitudes en températures des sols terreux et des lapiés à une profondeur de 20 cm, ce qui correspond a la profondeur des perforations et a laquelle s’enterrent les mollusques, font apparaître un déphasage et une atténuation par rapport à la température de l’air, le graphique (Fig 7) démontre les différences des deux sols sur une période de 24 heures. Un sol terreux est sensible à tout changement de température extérieure, pour une hausse de 16° C  le sol répond cinq heures plus tard avec une hausse en température de 5 °C.
Fig 7
 Les lapiés ne réagissent pas de même. Le déphasage est de 8 heures, mais l’amplitude n’est que de 1/10eme de la température extérieure. Pour la même hausse de 16°C, ce n’est que de 1,5°C que les lapiés augmentent leur température.
Les roches ou les escargots forent leurs loges ont des masses très importantes, elles plongent profondément dans le sol et ont une grande inertie aux changements de températures de l’air que ce soit l’été ou l’hiver.
Le graphique (Fig 8) retrace les tendances linéaires des températures de l’air, d’un sol terreux et d’un lapiaz d’une zone perforée en basse altitude, il fait apparaître un avantage important pour le karst par rapport à un sol de terre sous le seuil de 5°.
 Fig 8
Les prédateurs :
Difficile aussi pour les prédateurs de les atteindre au fond de leurs galeries de roche, en exemple la Musaraigne carrelet (Sorex araneus) qui ne peut creuser la roche pour atteindre les escargots et en faire sont repas, les insectes prédateurs des escargots eux aussi ne sont pas avantagés de cette situation ainsi que les oiseaux, les perforations se trouvent toujours entre 50 centimètres et 2 mètres maximum en hauteur par rapport au niveau du sol et c’est profondément dans les loges à l’abri des températures extrêmes tout en étant invisibles aux prédateurs qu’ils peuvent passer de longues périodes en été comme en hiver.

1 - Les prédateurs aériens: La pie, Le geai, Le corbeau, Le héron, Le tétras, L’accenteur, Le faisan, Le merle, La mésange, Le rouge queue, Le hibou, Le faucon, Le choucas, La grive, Le canard, L’oie, La chouette, La mouette, La poule d’eau.
2 - Les prédateurs terrestres:
- Mammifères : Le rat, Le mulot, Le surmulot, La musaraigne, Le hérisson, Le loir, Le campagnol, La sourie, Le lérot, Le lapin, Le blaireau, Le sanglier, Le poulet, Le renard, La fouine, Le putois, La martre, La belette.  
- Amphibiens : La grenouille, Le crapaud, Le triton, La salamandre.
- Reptiles : Le lézard, La couleuvre, L’orvet, La tortue.
3 - Les invertébrés:
- Insectes : Le staphylin odorant, Le drile, Le carabe doré, Le carabe chagriné, Le lampyre, Les silphides, La lithobie, L'opilion, Le perce-oreille,
- Mollusque : Le bulime tronqué.

La dissolution de la roche :
Ce sont dans les zones karstiques ayant un couvert végétal, partiel ou complet (Fig 9) que les perforations sont les plus abondantes, dans les zones de lapiés découverts ayant des arêtes aiguës, souvent tranchantes les perforations y sont présentes, mais en très faibles proportions, on ne trouve que quelques trous solitaires épars, jamais de zones avec une densité de perforations très importante.
On trouve aussi en plaine quelques roches ou bâtiments avec des perforations au milieu des cultures.
En exemple : la Pile Romaine de Luzenac-Ariège (Fig 10 et 20).

Fig 9
 Fig 10

C’est au moyen d’un suc acide que les escargots dissolvent la roche, les blocs calcaires de l'expérience faite au CNRS courant 2002 étaient couverts de traces blanchâtres ayant la forme exacte du pied de l’escargot, comme délavé par de l’acide. Ce ne sont point les traces de bave classique que laissent les mollusques lors de leurs déplacements, ces traces sont laissées après de longues périodes en point fixe, où l’escargot est à moitié sorti de la coquille, mais sans aucun déplacement (Fig 11 et 12) et c’est dans cette position que nous les retrouvons dans le fond de leurs loges calcaires.

Fig 11 et 12

Présence des perforations en France.
 L’orientation des perforations suivant l’altitude :
Sur la chaîne des Pyrénées, on note un changement d’orientation des perforations en prenant de l’altitude, cela est dû aux intempéries venant régulièrement de l’Atlantique (Ouest). 
1 / à l’échelle locale, sur chaque zone perforée les loges ont une orientation qui prédomine, et qui peuvent variées sur le même site d’une vingtaine de degrés maximum, sauf dans des zones de lapiaz très chaotique où elles peuvent variées de 180°.
2 / à l’échelle régionale, en bordure des rivières où affleurent les derniers bancs calcaires aux environs des 260 m d’altitude, bien à l’abri aux creux des vallées, l’orientation des perforations se fait sur 360°, il y a quand même quelques directions qui prédominent suivant les sites, notamment les faces Est des massifs ; Mais plus on prend de l’altitude et plus l’angle des perforations se réduit, les faces Ouest des massifs étant plus exposées aux intempéries en sont quasiment dépourvus, cela est bien visible sur les graphiques de la tranche 1000 / 2000 m d’altitude de la figure 15.
Fig 15

L’abandon de certains sites :
Certaines zones ne sont plus perforées pourtant elles ont été très actives, la végétation recouvre les perforations et on n’y trouve que rarement des escargots, c’est le cas en plusieurs points dans les Pyrénées, exemple la falaise de l’Hider à Prat Bonrepaux (Ariège – France)
Cette barre rocheuse d’une surface de plus de 100m2 est totalement délaissée par les mollusques alors qu’elle est entièrement perforée, c’est un site impressionnant, il y a un trou tous les centimètres (Fig 16) la roche dans les loges est altérée, le lierre et la mousse l’ont envahie, la végétation au sol y est pourtant extrêmement abondante et ce lieu est bien loin des habitations et des actions humaines, un facteur naturel est venu pourtant perturber cet écosystème fragile, on rencontre aussi des perforations complètement ou partiellement ensevelies par la terre suite a une action géologique naturelle.
Fig 16
La vitesse de perforation :
La vitesse de perforation a été découverte en Angleterre en 1986 par W.I.Stanton, suite à l’observation de loges tubulaires dans une carrière abandonnée depuis 200 ans.
La vitesse de perforation des loges est très proche de 1.5 mm pour une période de 10 ans.
Cela nous permet pour des longueurs de perforations couramment  observées de 300 mm,  de remonter dans le temps de plus 2000 ans et cela est non négligeable. Pour les perforations en niches (groupe de perforations qui finissent par se rejoindre pour ne laisser qu’une dentelle de roche) je n’ai observé qu’un à deux individus dans ce type de perforations, si on part de ce principe pour des niches de 600 mm qui sont relativement communes sur certains sites, cela va facilement nous faire remonter de plusieurs dizaines de milliers d’années. Il est très fréquent que les mollusques se trouvent piégés dans leurs loges, ne pouvant plus en sortir du fait de l’augmentation de la taille de leur coquille (Fig 18), c’est dans les perforations en dentelle qui forment un labyrinthe en trois dimensions que les coquilles vides sont les plus nombreuses.
Fig 18
Datations et applications :
La vitesse de perforation étant connue et l’orientation des loges sur chaque zone étant bien définie, cela nous permet de remettre en position des blocs ayant été pivotés ou retournés.
1 / le Dolmen de Comminge (Camarade-Ariège) Cette construction mégalithique présente plusieurs points de perforations, sur la table (a) on trouve un groupe de perforations inversées, cette dalle de plusieurs centaines de kilos était donc à l’origine avant la construction dans l’autre sens, le dessus étant dessous et avec une orientation bien différentes des roches perforées des alentours. Les orthostates (b) [pieds de la construction] elles aussi présentent des perforations qui attestent de leurs déplacements et inversions lors du montage de cette construction (Fig 19).
2 / La Pile Romaine de Luzenac (Ariège). Cette Pile daterait entre le 1er et le 4ème siècle et fait plus de 7 m de haut, elle se trouve dans un champ en bordure de route D 618, c’est lorsque le parement Nord / Ouest de cet édifice est tombé, que les perforations on commencé sur cette face, avec une longueur de perforations moyenne de 95 mm il est facile de définir qu’il  y a donc approximativement 630 ans que le parement de cette pile Romaine est tombé, soit aux alentours des années 1380.
Les perforations ont été faites sur les blocs calcaires, juste sous le mortier (Fig 20).
3 / Le site de l’Arroucaou à Salies du Salat est une suite de barres rocheuses calcaires que le Salat a façonné au fil des siècles et qui maintenant suit un cours bien plus à l’ouest Fig 21). Plusieurs barres rocheuses apparaissent dans les buis dans lesquelles sont visibles de petites cavités qui ont été creusées par le Salat. Pendant plusieurs siècles la rivière a interdit l’accès des barres rocheuses aux escargots. La profondeur des perforations de l'ordre de 150 mm. Nous donne en temps le millier d'années depuis lesquels les mollusques on commencé les perforations de cette barre rocheuse. On peut considérer que le Salat à commencer à modifier sont cours et à se détacher de cette barre rocheuse il y a prés de mille ans.

 Fig 19
Fig 20


CONCLUSION

Les perforations de type Hélixigenic sont bien présentes en Europe et Afrique du nord comme l’attestent les nombreuses publications et observations qui en font état depuis les années 1800.
Il y a trois raisons majeures qui poussent les escargots à perforer les roches calcaires dures, le besoin en calcium pour parfaire la croissance de leur coquille, avoir une protection vis-à-vis des nombreux prédateurs (insectes, rongeurs, oiseaux), et avoir un abri stable en température pour passer de longues périodes en été comme en hiver.
L’abandon de certaines zones de perforation est un indicateur de la modification du biotope des mollusques qui depuis quelques millénaires ont laissé sur les lapiazs des massifs karstiques et sur d’anciennes constructions depuis l’âge du Néolithique les traces indélébiles de leur présence et de leur activité.
 La vitesse de perforation des mollusques est un outil qui nous permet des datations dans plusieurs domaines comme en archéologie, karstologie, géomorphologie karstique.

Les perforations doivent être présentent dans toute l'Europe et l'Afrique du nord.
C'est le manque d'observations qui nous manque le plus, si vous en observés, faites des photographie et contacté moi, merci. 

Publications récentes.
Biodiversity Journal N° 5

Magazine Natura Mediterraneo N°11